Faut-il sauver l'école républicaine ?

    Professeur depuis une dizaine d'années, je suis naturellement porté à m'intéresser aux problèmes d'éducation. J'ai notamment fait l'expérience de cette fameuse baisse du niveau, qui, bien que relative, est néanmoins tout à fait réelle. Qui parmi les professeurs de lycée n'a pas déploré que beaucoup d'élèves de Première ou de Terminale, y compris dans les séries générales (L, ES, S), se montrent à la fois incapables de maîtriser la langue française à l'écrit et dépourvus de la plus élémentaire culture générale ?
   Or c'est un lieu commun aujourd'hui que d'attribuer la responsabilité de ce phénomène aux seules méthodes de la nouvelle pédagogie. Deux camps se font face dans tous les débats  : d'un côté, les nostalgiques de l'école de la Troisième république, les « nouveaux réactionnaires » de la question scolaire, avec des champions comme Jean-Paul Brighelli ou Natacha Polony, montent à l'assaut en brandissant l'étendard du savoir et de la discipline, de l'autre les « pédagogistes », rangés en ordre de bataille sous le commandement de leur grand pontife Philippe Mérieu, se battent au nom de « l'élève au centre du système scolaire » selon les termes de la loi d'orientation pour l'école de 1989.
   J'avoue avoir moi-même donné longtemps dans ce simplisme et pris nettement parti pour le premier de ces camps tant l'échec du second avec ses TPE, son autonomie de l'élève (qui ne profite qu'aux bons élèves déjà formés « à l'ancienne »), son refus plus ou moins complet des notes, des sanctions, du redoublement, a clairement contribué à détériorer la situation de l'école. Cela dit, la parution au début de l'année scolaire qui s'achève d'un ouvrage d'Yves Morel intitulé un peu lourdement (le titre ne rend pas grâce à la subtilité du propos) La fatale perversion du système scolaire français est venu un peu me bousculer dans « mon sommeil dogmatique ».
   La thèse de cet ouvrage, qui est l’œuvre d'un historien et se réfère pour cette raison en permanence aux faits, mérite qu'on la résume un peu longuement. Si le pédagogisme est un fiasco, il n'est pas la cause première de la crise de l'école en France. Il l'a accompagnée mais non créée. Le problème est moins dans les expériences didactiques et pédagogiques, qui ne sont d'ailleurs pas toutes absurdes, que dans la massification et l'uniformisation du système scolaire initiées dans l'après-guerre et réalisées en 1975 avec la création du collège unique.
   Morel explique bien par ailleurs qu'il est illusoire d'opposer l'école républicaine d'hier à l'école républicaine d'aujourd'hui puisque cette dernière n'a fait que combler le hiatus entre son idéal égalitaire et sa réalité élitiste et aristocratique. Il rappelle que jusque-là la République se satisfaisait très bien d'un système dualiste dans lequel les fils de bourgeois allaient au lycée (dès la sixième) pendant que les fils du peuple allaient à la « communale » acquérir un bagage fondamental, beaucoup plus structuré que celui délivré aujourd'hui, mais minimal. Il rappelle également que le véritable créateur de cet enseignement primaire pour tous est François Guizot, le ministre de Louis-Philippe, et que Jules Ferry ne fera que reprendre un instrument déjà existant pour le mettre au service de l'endoctrinement républicain et anticlérical des petits Français.
   Plus fondamentalement, Morel dénonce le paradoxe infernal qui consiste à vouloir donner à tous une instruction élitiste, celle de l'ancien lycée napoléonien, lui-même héritier des collèges jésuites de l'Ancien régime. De ce « cercle carré » ne peut découler que la frustration chez les titulaires de diplômes dévalués dont on a artificiellement conservé la dénomination mais qui ne sont plus que de la fausse-monnaie. Le baccalauréat en est un exemple suffisamment éloquent.
   Alors que faire ? La lecture de cet ouvrage remarquable et aussi ma petite expérience personnelle me conduisent à envisager quelques portes de sortie. D'abord, il convient de restaurer l'enseignement primaire guizotien. Il n'est pas admissible que ce qui fonctionnait autrefois pour les enfants des campagnes, dont les parents ne savaient pas forcément plus lire ou écrire le français que les enfants d'immigrés d'aujourd'hui, ne puissent pas fonctionner à nouveau. Donc, pour ce niveau, recentrage sur la trinité « lire, écrire, compter » et sur  l'acquisition d'une culture nationale minimale mais solide. Ensuite, il faut dé-massifier le secondaire, le diversifier, revaloriser l'enseignement technique, avoir le courage d'en finir avec le collège unique. Enfin, compte tenu de l'immobilisme du public et de ses syndicats de gauche, qui selon la formule de Bossuet chérissent les causes (la massification, l'unification du système scolaire) dont ils déplorent les conséquences (la baisse du niveau, la dévalorisation des diplômes), il faut favoriser par tous les moyens (le chèque scolaire notamment) le développement d'un enseignement libre qui pourra entreprendre plus facilement et plus hardiment les évolutions et les ruptures nécessaires que le Mammouth.

Stéphane BLANCHONNET

Article d'abord paru sur a-rebours.fr puis repris dans L'Action Française 2000


Vos commentaires

Le 23/12/2016 à 06:16, Catherin Dargaud a écrit :
Juste un détail : Bossuet n'a pas écrit, comme tout le monde le lui fait dire : « Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. », mais : « Dieu se rit des prières qu'on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s'oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je ? quand on l'approuve et qu'on y souscrit, quoique ce soit avec répugnance. »
C'est dans /Histoire des variations des églises protestantes/, livre IV, § 2.
D'autres exemples de citations déformées : http://dernieregerbe.hautetfort.com/archive/2016/05/10/attention-aux-citations-deformees-synthese-de-mes-recherches-5799775.html

Cordialement.
Le 23/12/2016 à 06:39, SB a écrit :
Oui, je sais bien ! C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai préféré la paraphraser plutôt que de mettre des guillemets. Cela dit la citation apocryphe, telle que Zemmour l'utilise fréquemment, est courte et très efficace !