Pour un commonwealth à la française

La récente élection à la tête de l'Organisation Internationale de la Francophonie du ministre rwandais des affaires étrangères, Mme Louise Mushikiwabo, est soit une audacieuse manœuvre d'Emmanuel Macron pour rétablir la situation de la France dans la région des Grands Lacs, selon le principe du « renversement des alliances », soit une aberration pure et simple. En effet, le Rwanda (ancienne colonie allemande placée sous mandat belge après la Grande guerre) vient à la fois de substituer l'anglais au français comme langue d'enseignement et d'adhérer au Commonwealth, l'organisation des États de l'ancien empire britannique ! Par ailleurs, le pays, dirigé par Paul Kagame, continue de calomnier l'armée française dans l'affaire du génocide inter-ethnique qui a endeuillé le pays en 1994. Surtout, cette élection montre que la francophonie est perçue par nos dirigeants comme quelque chose d'accessoire, un moyen de poursuivre d'autres fins.

Pourtant la francophonie pourrait être un atout considérable pour la France. L'espace francophone est immense et s'étend sur tous les continents, le français est aujourd'hui la 5ème langue la plus parlée, — et il devrait gagner plusieurs places dans les années à venir —, la 4ème langue d'Internet, la 3ème langue des affaires, et la 2ème langue la plus enseignée dans le monde, après l'anglais. Ce rayonnement linguistique combiné à notre réseau diplomatique, l'un des plus importants, et aux différents outils de notre politique d'influence culturelle (lycées français, instituts français etc), devrait nous assurer, s'il était vraiment articulé à une politique indépendante et cohérente, de retrouver le rôle de puissance mondiale qui est naturellement le nôtre. Malheureusement, le manque de continuité dans les orientations géostratégiques et la perte de confiance dans notre rôle, qui caractérisent la politique de nos dirigeants ces dernières années, nous empêchent de jouir de ces atouts.

L'organisation de la francophonie elle-même devrait être repensée. Déjà en 1977, Léopold Sédar Senghor écrivait dans Liberté : « J'ai regretté, pour ma part, qu'on n'eût pas maintenu, en l'adaptant à nos indépendances, le Commonwealth à la française qu'était la Communauté. Je le regrette encore aujourd'hui, car les relations entre la France et les pays indépendants d'Afrique — ses anciennes colonies, anciens protectorats et anciens territoires sous tutelle — restent, malgré tout, ambiguës. Ce qui est une mauvaise situation pour toutes les parties. » Une évolution intelligente de la Communauté, telle qu'elle était définie dans les institutions de la Vème République, aurait en effet permis de mettre en place une véritable confédération d'États, comme l'est le Commonwealth, là où la francophonie apparaît plutôt comme une grosse O.N.G. sans réel poids politique. Certains travers d'une politique d'influence plus officieuse, en Afrique notamment, auraient pu ainsi être évités. Mais il est vrai que le Commonwealth bénéficie d'un atout de poids, qui en est la clé de voûte : la Couronne britannique.

Stéphane BLANCHONNET

Article paru sur a-rebours.fr et dans Le Bien Commun


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