La France n'est pas machiste

   Je m’étais beaucoup intéressé au moment de sa parution en 2006 au livre de Madame Claude Habib, Galanterie française. Outre son intérêt historique, – il traite avec beaucoup d’érudition l’histoire de la galanterie aux XVIIème et XVIIIème siècles –, cet ouvrage est également un essai de définition de l’exception culturelle française dans le domaine des rapports entre les hommes et les femmes. Madame Habib appelle « galanterie » cette « voie médiane » entre le modèle anglo-saxon, qui rejette toute forme d’érotisation des rapports entre les sexes dans l’espace public (ce qui n’exclut nullement la pornographie la plus sordide du moment qu’elle est restreinte à l’espace privé), et le modèle latin, qui instaure à l’inverse une sorte d’érotisation permanente de cet espace dont les œillades appuyées et autres sifflets d’admiration sont les symboles dans certaines villes d’Italie ou d’Amérique du sud. Au fond, la galanterie, cet art de se rendre favorable les personnes du beau sexe par des soins et des égards particuliers mais sans lourdeur et en évitant tout ce qui pourrait être malséant ou déplacé, est un aspect des plus sympathiques de notre art de vivre « à la française ».
   Or l’affaire DSK et les commentaires passablement hystériques qu’elle déchaîne dans nos médias (voir les unes des hebdomadaires comme le Nouvel Observateur, Marianne ou L’Express) sur le prétendu « machisme français » pourraient remettre en cause cet équilibre dont nous sommes, avec Madame Claude Habib, légitimement fiers. Bien sûr, il ne s’agit pas de défendre l’ex-futur président de la République, ses amis de gauche l’ont déjà fait avec l’amour du peuple (« troussage de domestique » dixit Jean-François Kahn) et le respect des femmes (« il n’y a pas mort d’homme » dixit Jack Lang) dont ces tartuffes de la morale « laïque et obligatoire » sont coutumiers…  Il s’agit seulement de dénoncer ici la volonté de criminaliser a priori le désir masculin et toutes ses manifestations (moralement licites, ce qui exclut la contrainte physique cela va sans dire !) que l’on peut discerner dans la pluie d’articles qui s’abat sur les « hommes de pouvoir » et leurs abus réels ou supposés. En effet, à la première séquence médiatique sur les faits reprochés à l’ancien directeur du F.M.I. a succédé une deuxième séquence dans laquelle les faits disparaissent en tant que tels et servent de prétexte lointain à une nouvelle campagne de dénigrement de la France et des Français.
   La réalité est que nous vivons dans une civilisation qui protège plus qu’aucune autre le choix et la liberté des femmes. Cela ne date d’ailleurs pas d’hier : en Occident, dès le Moyen-âge, l’Eglise, institution éminemment masculine, en faisant reposer la validité du sacrement de mariage sur le consentement libre et éclairé des deux futurs conjoints, a émancipé comme jamais la jeune fille de l’autorité paternelle. La même Eglise en prescrivant aux chevaliers « la défense de la veuve et de l’orphelin », a également donné un frein aux instincts virils élémentaires. Au même moment, le développement de la courtoisie a élevé, au moins symboliquement, toute femme au rang de suzeraine dans les rapports amoureux. Ce modèle magnifié par Dante, développé par les poètes pétrarquisants de la Renaissance, – encore des hommes ! –, s’est pleinement épanoui dans la galanterie de l’âge classique si bien analysée par Claude Habib. C’est sur ce terrain culturel déjà très favorable aux femmes, malgré la forme de régression que représentent à cet égard la Révolution de 89 et le code Napoléon, que les gouvernements du XXème siècle, – composés très majoritairement d’hommes –, ont établi une égalité de droit littéralement inouïe entre les sexes, égalité que certains voudraient maintenant voir déboucher sur une forme d’indifférenciation totale (voir les récentes propositions de l’IGAS sur le congé paternité). Et malgré cela on accuse encore notre tradition de machisme et de sexisme ! C’est un peu fort !
Un autre aspect de la question est délibérément occulté dans la polémique actuelle : le pouvoir des femmes sur les hommes. La fameuse formule, plus ou moins exacte, du « sexe contre nourriture » ou du « sexe contre protection » qui est censé rendre compte des rapports entre les hommes et les femmes dans la Préhistoire décrit un échange. Chacun des termes de cet échange possède un bien dont l’autre terme a besoin et exerce donc sur lui une forme de pouvoir. Aujourd’hui, les choses sont-elles  fondamentalement différentes ? Une femme jeune et belle possède assurément un pouvoir très grand. Elle obtiendra dans certaines circonstances plus rapidement et plus facilement qu’un homme certains avantages, de l’entrée dans une boîte de nuit à la promotion professionnelle ou politique la plus inespérée… Si la nature a fait les hommes physiquement plus forts que les femmes, elle les a fait aussi plus sensibles aux charmes de l’autre sexe : c’est un fait que les morales traditionnelles rapportent toutes, que les traditions culturelles de tous les peuples expriment (voyez Judith et Holopherne ou Salomé dans la Bible, Pandore, Hélène ou les Sirènes chez les Grecs…) et que la science ratifie (la psychologie évolutionniste a démontré que le critère numéro un du choix du partenaire était pour les hommes de toutes les cultures la jeunesse et la beauté physique de la femme alors que la réciproque n’est pas vraie et que le choix des femmes est beaucoup plus complexe). Il y a donc des inégalités de nature mais ces inégalités ne jouent pas toutes dans le même sens !
   En un sens, que Claude Habib indique d’ailleurs dans la conclusion de son ouvrage, la « galanterie française » est un modèle qui tend à harmoniser ces différences en vue de les rendre profitables aux deux sexes… Le modèle qui domine actuellement les débats, inspiré du féminisme le plus extrémiste, qui consiste à les nier et à rechercher une indifférenciation impossible, ne peut que provoquer en retour une forme violente de machisme, qui lui n’aura rien d’un fantasme d’éditorialiste de gauche et qui prospère déjà dans certaines formes de communautarisme.

Stéphane BLANCHONNET

Article d'abord paru sur a-rebours.fr puis repris dans L'Action Française 2000


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